Les coins-coins
Dans l’enseignement d’Yvanador, la recherche du bonheur n’est pas condamnée, les canards vont vivre cette recherche jusqu’au moment où ils vont sentir que ce n’est pas leur histoire, que ce n’est pas ce à quoi ils aspirent profondément. C’’est alors qu’ils se détachent du but à atteindre et pour la première fois ils vont avoir la possibilité de vivre ce qu’ils sentent vrai pour eux.
Les canards ne contrôlent pas le bonheur, quand toutes les circonstances favorables sont là, le bonheur vient ou pas… l’argent ne fait pas le bonheur et le reste non plus, pas de façon certaine. Qu’est-ce que le bonheur ? Les canards ne le savent pas, le bonheur c’est quand on est heureux !
Les canards qui veulent être heureux, cherchent ce qui rend les autres heureux et ils se disent, si ça le rend heureux alors cela me rendra heureux aussi !
Alors quand ils voient, dans la pub pour le dentifrice, un canard sourire de toutes ses dents et qu'en plus il a toutes les nanas qu’il veut, ils y croient dur comme fer : « ha !, ce dentifrice le rend si heureux ! » Les canards n’ont pas de dents direz-vous mais ce n’est pas le sujet, les canards veulent être heureux, ils achètent !
Ça tombe bien pour le diable, il vend de tout !
Dans son atelier, la baguette de chef d’orchestre à la main, le Diable fait répéter son équipe :
Un jour mon prince viendra… un jour il m’aimera, voilà voilà, donc tous les ingrédients : prince, gentil, beau, jeune, riche, n’oubliez pas le château, il faut que le prince soit parfait, sinon les cannes vont en trouver un et voir que ça ne marche pas.
Vous pouvez blanchir un peu plus les dents dans la pub-là ? hi hi houlà là…allez hop une retouche.
Un petit coin d’paradis contre un petit coin de parapluie (Brassens)… qui connaît le paradis ?
Ha ha ha... faites de la pub pour les parapluies, ils vont chercher le paradis là-dessous.
Il en faut peu pour être heureux, vraiment très peu pour être heureux (le livre de la jungle),
hi hi hi oulà là ha, elle est bien trouvée celle-là. Pouvez m’la faire passer en boucle ? Tout le monde peut être heureux, ceux qui n’ont rien le peuvent aussi, tout le monde doit croire au bonheur.
Le Diable, après avoir orchestré et inventé la séduction en tube (de dentifrice) - une arme fatale : l’homme parfait, - le paradis casé sous un parapluie et - inventé un slogan pour les attraper tous, jubile de sa grande compétence, de son habileté, un travail d’orfèvre.
Les mains sur son ventre il savoure un moment de repos.
Les canards avec sur le bec leurs lunettes marquées « bonheur éternel », le dentifrice dans la poche et une chanson en bandoulière foncent tête baissée.
Les projets vont bon train… Les canards passent beaucoup d’énergie et de temps libre à espérer la pluie et puis le soleil, le prince charmant, etc.
Malgré le caractère aléatoire, contraignant et surprenant du bonheur, les canards restent concentrés sur leur idée : comment être heureux ? Après leur santé et leur importance c’est la chose la plus importante de leur vie.
Dans l’étang, la tête dans l’eau vaseuse, ça peut se comprendre.
Pour être heureux, il faut parfois vivre des situations dont aucun canard ne veut. Voulez-vous vous priver de tout pour avoir le bonheur convoité ? Voulez-vous voir votre vie se dérouler et vous, être toujours dans la recherche du bonheur ? Voulez-vous marcher sur les pieds du voisin pour lui passer devant ? « Non ! » crient les canards ! Mais les canards le font quand même !!!
Alors ?
Rien.
Les canards tiennent le coup comme ils le peuvent, en se contentant parfois de très peu : trimer toute une année pour 15 jours de vacances, ou même moins encore : bosser dur pour 5 minutes de répit le temps de prendre un petit verre dans la pénombre du soir. Il faut tenir, se battre c’est tout, c’est la vie.
Ils ressortent de cette course au bonheur, d’une façon générale, fatigués, énervés, frustrés, ronchons, hébétés, parfois victorieux mais pas toujours fiers, etc. Ce qui n’est pas étonnant car manifestement les canards ne tirent pas les ficelles de la course au bonheur.
Le diable a inventé un bonheur que les canards vont chercher à l’extérieur et de ce fait qu’ils doivent conquérir. C’est un bonheur qui ne se partage pas (le bel appart, les nanas…) il entretient la division et la lutte entre les canards, ce bonheur-là c’est celui qui l’attrape qui l’a. Tant que les coincoins regardent vers l’extérieur, et luttent les uns contre les autres ils servent les intérêts du diable. Les coincoins ne peuvent pas servir deux maîtres et tant qu’ils chercheront le bonheur ils ne risquent pas de se rappeler leur vraie nature et servir le Soleil.
Le Soleil dit : « mes canards ne sont pas si bêtes, ils se rendent compte que la recherche du bonheur généralement ne les rend pas heureux ! ».
Pas si bêtes mais bien conditionnés quand même. Alors quand les canards n’ont pas le bonheur escompté ils se disent, mince c’est à cause de la voiture que je n’ai pas, mince quel idiot je fais d’avoir mal joué (pourtant c’était un jeu, non ?), je n’ai pas les dents assez blanches ou je n’ai pas la bonne compagne, etc.
Toute l’attention des canards se porte sur les objets du bonheur, ceux qu’ils ont ou ceux qu’ils leur manquent, mais ils se demandent rarement « Est-ce que ces objets-là peuvent me procurer ce que je cherche vraiment » ? Parce que si on demande aux canards « Que voulez-vous vraiment » ?, la réponse est surprenante : « Etre serein, cesser le combat, vivre sans dépendre de ce que l’on possède, avoir des relations douces, arrêter de massacrer la planète, être amour, etc ».
Les canards ne sont pas si bêtes en effet, mais alors ??
Regarder ce qu’est le bonheur c’est se poser la question « Si je ne suis pas un chercheur de bonheur, qui suis-je » ? Rien que d’y penser, les pattes des coincoins tremblent, il faut du courage pour continuer.
Sur ce chemin, le canard après avoir voulu de plus belles plumes pour épater les autres, va reconnaître que ses plumes sont là pour le maintenir au chaud et l’abriter de l’eau. Alors à l’intérieur du coincoin se fait de la place pour autre chose, pour le souvenir.
Pendant ce temps le vendeur de breloques les attend les coincoins à chaque coin de rue… Un instant d’inattention et les voilà reparti dans la quête du bonheur : « Ha c’est le voyage de mes rêves… « Ha une nouvelle coupe de cheveux changerait tout »… et les canards repartent au charbon, dans la projection qu’une nouvelle tête va changer leur vie…
Pour l’instant, le plan du Diable est une grande réussite : les coincoins continuent d’aller chercher le bonheur au fond de la vase (ou de la mine) là où la lumière du Soleil ne peut pas les atteindre. Privés de cette lumière, privés de la conscience, ils entretiennent le chaos.
Le diable est fier d’avoir envoyé les coincoins dans le feu de l’enfer et ne voit pas comment les coincoins pourraient trouver la sortie.
Alors le diable se marre... Pardon il s’étang de tout son long pour rire. Rire de voir les canards prendre les images du bonheur pour le bonheur, rire de les voir chercher ce qu’ils ont perdu à l’intérieur d’eux (la joie), à l’extérieur d’eux (le bonheur au travers d’objet), rire de voir les canards se prendre pour des canards importants parce qu’ils peuvent faire leur bonheur, alors que manifestement le bonheur ne dépend pas d’eux.
Il sent que ça vaut le coup d’aller chercher sa chaise longue et de l’installer au bord de l’étang !
Il donne sa baguette de chef d’orchestre à un élève et se laisse bercer par le bruit des voix :
« Tut tut tut les canards, un peu de discipline, reprenez tous en cœur, les filles d’abord :
- Un jour mon prince viendra, un jour il m’aimera….
- Non, mais elles sont trop bêtes ces cannes (signé les canards)...
- hum hum… et les garçons : Pin Pon Pin, Pin Pon Pin, Pin Pon Pin (quand je s’rait grand je s’rais pompier et celui qui n’est pas d’accord prend un coup sur le nez)…
- mais qu’ils sont nuls ces canards (signé : les cannes) !
Des couacs absolument disharmonieux, tout est parfaitement parfait, le Diable en a des frissons dans le dos et les orteils en éventail.
Ca en fait un qui est heureux, non ? A suivre….
Catherine
Qu’est-ce qu’elle raconte ?
*Quand je me demande si cette façon d’écrire est bien sérieuse, c’est un rire intérieur qui se moque de ma question.
*Quand je me demande si ce qui est écrit est juste, je me rappelle que mon travail est de chercher les mots les plus justes à ce qui est présent et qu’une relecture attentive m’est accordée.
*Si vous vous dites : mais qu’est-ce qu’elle raconte ? je témoigne… cette eau-là est chargée de rires.