Le conte
Voici une petite histoire retrouvée juste après la transcription de la K7 sur le Tiers Implicite. Je l'ai entendue pour la première fois des lèvres de Germaine Asteix, femme qui m'initia aux enseignements de Monsieur Gurdjieff qu'Yvan appréciait tant.
Elle la tenait de lui-même qui avait été son maître, pour ainsi dire, toute sa vie durant.
L'Errant donneur.
Cantique du Sot Bienheureux.
Un jour, un moine errant, mais dont la réputation ne se lassait pas de dire qu'il faisait des miracles, reçu un âne, de l'or et des diamants pour avoir réussi à sauver d'une fièvre perverse, la fille du Seigneur des Environs ....
Or, il demeura fort perplexe car il n'avait jamais imaginé qu'il lui arriverait de se retrouver dans une telle situation ! ...
Alors il médita longuement sous un figuier avant de reprendre ses chemins de prédilection ... Son âne, son or et ses diamants sur les talons ...
Un soir, il s’arrêta pour dîner dans une auberge et là, entendit parler de la famille qui n'allait plus tarder à être chassée du village car une mauvaise saison avait mis sa fabrique en faillite et donc en dette envers le Seigneur de l'endroit.
Or, chacun n'exprimait-il que regrets et force désarrois !
Alors, la nuit survenue, alla-t-il déposer discrètement sur le seuil des malheureux l'équivalent approximatif de la somme à rendre à qui de droit.
Plus loin, ce fut dans un temple qu'il entendit dire que le bon père s'évertuait à construire une école mais que cela n'allait pas sans difficultés financières...
Aussi, avant de quitter les lieux, laissa-t-il une forte somme en offrande après une dernière prière.
Il marcha de la sorte presque la moitié d'une année ...
Jusqu'au moment où, par trois brigands armés jusqu'aux dents, il se retrouva encerclé.
- On te connait moine !...
- Tu es celui qui, du Seigneur des Environs, a reçu un âne, de l'or et des diamants pour avoir guérit d'un mal pervers sa fille préférée !...
- Ce trésor, dis-nous où tu l'as caché !
Le moine jugea plus sage de leur indiquer immédiatement les différents endroits !...
Les trois brigands décidèrent alors de se séparer pour y filer droit...
Le premier passa à l'auberge où on lui indiqua la maison des pauvres endettés. Mais les temps avaient changé. La famille s'était établie à son compte; elle cherchait d'ailleurs un employé. Le brigand estima que sa vie de baron de la dèche avait assez duré et accepta le marché ...
Le second parvint au temple. Par un vitrail, il vit le bon père perché sur la charpente. Son cœur en fut bouleversé: « comment un vieux comme lui peut-il encore se battre pour les autres lorsque, dans la force de l'âge, je n'ai toujours rien engagé !? ».
Il alla porter les tuiles.
L'école fut achevée avant la tombée des pluies.
Il fallait des enseignants, le bon père lui dit: "apprends-leur déjà tout ce que tu as appris ! »
et il le fit.
Le troisième rencontra l'enfant dont la mère s'était blessée et que le moine avait soignée.
Cela lui avait pris plusieurs semaines et de nombreux onguents. Pendant ce temps, il s'était donc occupé des affaires de la femme qu'il avait su rendre prospères. Puis il avait repris la route, estimant sa tâche achevée.
Le troisième brigand écouta ce récit de la mère et l'on dit qu'il resta bien après la veillée !
Or il arriva que le moine, quelque années plus tard, en vînt à traverser le village où se trouvait l'auberge et s'y arrêta de nouveau pour dîner.
Nul ne l'aurait reconnu si le brigand d'autrefois n'était venu à passer.
Et de s'asseoir à la table du pèlerin !
- J'ai trouvé ton or, ô moine !... L'ancien de la famille m'a raconté !... Il m'a aussi transmis la direction de la fabrique. Je suis comme toi, je ne possède rien et pourtant j'ai tout ! Le vieux se repose maintenant. Il joue avec ses petits enfants ! Son propre fils est un artiste de renom et libre de l'être car j'ai appris à m'occuper de tout. La maison est pleine de chants dès l'aube jusqu'au soir... On vient de partout acheter nos produits. Les gens disent que nos fleurs séchées sont de la poudre d'étoiles ! Sans doute est-ce là l'or que tu as déposé !
- Tant mieux pour vous tous, répondit simplement le moine ... et le Seigneur de l'endroit n'aura pas eu à se fâcher !
Plus tard encore, le moine s'arrêta au temple pour prier.
Des enfants jouaient dans la cour. Une cloche sonna et leurs cris se rassemblèrent. Un homme les ordonna et les fit entrer dans une grande salle lumineuse mais alors qu'il allait pour les suivre, il sentit qu'on l'observait et aperçut le moine. Il le rejoignit et dit :
- Ô moine, voici ce que ton or a rapporté ! Le soir, les gens d'ici viennent m'écouter... ils ont appris à lire et à compter. Ils disent qu'un jour, un ange est passé dans leur village et laissé de l'or pour que l'école soit terminée. Comme je suis arrivé juste après, ils ont même pensé que j'étais son envoyé ! Ensuite, ils n'ont plus voulu que je reparte. Comme j'étais venu chercher ton or et tes diamants, alors je suis resté !... et puisque, somme toute, je les ai découvert, je ne demande rien de plus !...
Nul village aux alentours n'a connu prêtre plus comblé que le vieux père ! ... Bénit soit le jour où je me suis fait voleur et t'ai rencontré !
Qu'a chacun de tes pas, ô moine, le Seigneur des Créatures ensemence la fleur d'Amour !
Le troisième brigand fut rencontré à l'aube ... Il se levait après une nuit d'amour. C'était ainsi depuis le premier soir où il était resté. Il invita le moine à déjeuner.
- Et l'enfant ? demanda ce dernier.
- L'enfant a grandi, moine ! Tu ne le reconnaîtrais plus! Il se révéla très doué pour les études et j'ai dû lui apprendre à se défendre pour qu'il puisse sauter des classes car il était frêle et naïf. Depuis, il va au lycée ! Sa mère est belle de ton or qui l'a guérie, ô moine et j'en reçois d'être libre de l'aimer. Jamais je n'ai eu vingt ans comme aujourd'hui et voilà longtemps que je ne songeais plus être digne un jour d'avoir un fils ! Béni soit ton art de cacher les trésors !
- Oh je n'ai rien fait, assura le moine ...
et il lui donna volontiers des nouvelles de ses anciens complices.
- Et nous rien de plus ! répliqua le bienheureux brigand en entendant ses récits ... Nous n'avons rien pris !... Ce qui est un comble pour des voleurs ! Tu nous as tout donné !
Quand le moine fut sur le point de repartir, il eut cet étrange salut :
- Rendons grâce alors au mal qui rendit pâle la fille du Seigneur des Environs car n'est-ce pas lui qui nous permit de recevoir et l'âne, l'or et les diamants !? De ces mots, le brigand ne sut que se réjouir.
- Il va de soi que ça ne saurait lui faire que du bien ! Mais dis-moi, ô moine, pourquoi le bien et le mal ne s'épousent-ils pas ?
Le moine haussa les épaules et prit le parti de se moquer :
- Mariés, ils le sont… Il n'est que notre jugement pour les divorcer !...
- Regarde, ensemble, déjà tout ce que nous avons fait !
Le brigand n'entendit pas en rester là :
- Seulement, ô moine, toi comme moi sommes d'accord pour dire que, fondamentalement, nous n'avons rien fait ! ...
- Quelle force alors s'est mise à agir au cœur même de ce que nous représentions de plus contradictoire ? ...
- Qu'est-ce qui réconcilie parfois des opposés et se révèle ensuite plus vaste que les deux parties ?
Incognito Ego Sum, alias I.E.S.