La bougie dans le noir
Nasrudin conversait tranquillement avec un ami dans la demeure de celui-ci lorsqu’ils furent surpris par la nuit.
- Il fait noir, dit l’ami, on ne voit plus grand chose allume une bougie ! il y en a justement une sur ta gauche.
- Comment pourrais-je distinguer ma droite de ma gauche dans le noir ? » répliqua le Mulla.
Mulla Nasrudin ne se connaît pas. Ses relations extérieures lui renvoient une « identité », une image de lui-même fausse. Lorsqu’il est en train de parler en plein jour, il fait du verbiage pour se faire valoir dans le relationnel ; il est dans le paraître. Il n’est pas réellement en train de se vivre.
C’est comme ces personnes qui parlent de Dieu à longueur de temps mais qui, une fois chez elles, l’oublient complètement. Elles ne prient jamais. (Les Soufis parlent d’une prière publique et d’une autre, secrète. Pour eux, si l’on ne prie pas dans le secret, le faire en public est vain.)
On se demande d’ailleurs si ces grands saints qui se promènent dans le monde en faisant des conférences partout prient en secret. Leur discours a-t-il une existence réelle dans leur propre cœur ?
Lorsque vous me lisez, je suis totalement positif mais le suis-je vraiment en dehors de mon discours ? C’est à moi de le dire. Ce que je dis est-il vrai pour moi ? Si ce n’est pas le cas, je ne trouverai pas la bougie dans l’obscurité.
Au fond, la bougie de l’histoire, c’est ma sagesse, ma lampe, mon dieu intérieur, la réalité, mon être essentiel, pas mon paraître. Si je vis dans le paraître, lorsque je suis hors de la présence de l’autre, je ne sais pas où sont ma gauche et ma droite ; je ne sais pas qui je suis.
Alejandro Jodorowsky
merci à Alain Duboc